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8 décembre 2017

Prédation et refus de vente : deux cas illustrant les difficultés de la règle per se

Le premier cas se réfère à une baisse de prix pouvant correspondre à un prix de prédation. En 1999, le DoJ initiait une enquête à propos du comportement de la compagnie aérienne American Airlines qui avait réagi à l’entrée de concurrents sur différentes liaisons à partir de son aéroport de base (hub) de Dallas en abaissant de manière substantielle ses propres prix et en accroissant ses capacités de vol. Était-ce là un comportement prédateur pour faire sortir les nouveaux concurrents ou était-ce plus simplement une réaction normale afin de défendre ses parts de marché face à de nouveaux concurrents ? Le DoJ concluait son enquête en expliquant que ce comportement ne pouvait se concevoir en dehors d’un pur objectif d’exclure des concurrents. Selon le DoJ, étant donné la domination d’American Airlines sur son aéroport de base, les pertes qu’une baisse de prix et d’accroissement de capacités induisaient n’étaient rationalisables qu’en regard de gains ultérieurs que la compagnie pouvait espérer si elle parvenait à induire la sortie des concurrents. Mais comment prouver la matérialité de gains futurs, sans que l’on soit assuré que la sortie des concurrents aura bien lieu ? Sans se prononcer sur le fond, une cour de justice locale donnait tort au DoJ dans un jugement préliminaire. Ce verdict fut confirmé en appel au motif que American Airlines n’avait pas baissé son prix en dessous d’un niveau approprié de coût que le tribunal explicitait en la circonstance. Mais au-delà du verdict, l’intérêt de ce jugement était double. D’une part, il affirmait que l’intention de la prédation n’avait pas à être prouvée, autrement dit, les tribunaux pouvaient être dispensés de montrer que la baisse de prix et l’expansion de capacité avaient bien pour intention ou pour objectif de réduire le nombre de concurrents. Il suffisait de prouver que la hausse de prix qui devenait possible après l’élimination du concurrent pouvait compenser la perte due à la baisse initiale. C’était là une transformation notoire. D’autre part, le jugement définissait une notion de coût-plancher pour déterminer le seuil en deçà duquel la baisse de prix pouvait être de nature délictueuse. En l’occurrence, le seuil minimal de coût retenu était le coût incrémental moyen, conformément à une recommandation de Areeda et Turner (1974). Certains économistes ont vu là une jurisprudence permettant de clarifier la notion de prix prédateur. Le deuxième cas est relatif à une pratique de refus de vente. En 1992, la société Eastman Kodak a été poursuivie en justice par l’un de ses clients à qui elle refusait de vendre des pièces détachées parce que ce client cherchait à concurrencer Kodak dans l’offre de services de photocopieurs. Fallait-il sanctionner ce refus de vente ? Le problème était d’autant plus délicat que ces pièces détachées étaient protégées par des droits de propriété intellectuelle. La société Kodak était accusée par son concurrent de violer l’article 2 du Sherman Act en cherchant à monopoliser le marché des pièces détachées de ses propres photocopieurs. Un premier jugement de droit civil disculpait Kodak de toute charge en estimant qu’il était peu vraisemblable que le refus de vente traduise l’objectif d’exclure un concurrent. Retenant le marché de la vente de photocopieurs neufs où Kodak ne disposait que d’une part de 20 %, le jugement préliminaire estimait en effet qu’il aurait été irrationnel de la part de Kodak de restreindre ses ventes dans un motif de prédation. La neuvième Cour d’appel, puis en dernière instance la Cour suprême en 1997, invalidaient ce jugement préliminaire, en invoquant d’autres arguments pour expliquer que le comportement de prédation ne pouvait être exclu a priori et qu’il fallait réexaminer le cas sur le fond. L’entrée dans l’argumentaire de la Cour suprême de notions telles que les externalités de réseaux, les avantages liés à la base installée, le verrouillage technologique (lock-in), les coûts de changement de fournisseurs (switching costs), etc. illustrait l’influence croissante de l’analyse économique sur le droit de la concurrence. Comme le cas portait sur un refus de vente de composants brevetés, la CAFC, juridiction de dernier ressort en matière de propriété intellectuelle, devait affirmer dans une décision de 1999 qu’un refus de vente d’un produit breveté ne saurait constituer, en aucun cas, une violation du droit de la concurrence. Deux questions étaient ainsi posées et elles sont au cœur de nombreux débats contemporains. La première est de savoir s’il y a prééminence du droit de la propriété intellectuelle sur celui de la concurrence, et la deuxième de savoir dans quels cas un refus de licence d’un droit de propriété intellectuelle peut être de nature délictueuse. Ces questions sont loin d’être tranchées, alors même qu’elles sont au cœur de procès contemporains spectaculaires en antitrust (comme ceux à l’encontre de Microsoft aux USA et en Europe). Elles illustrent quelques-unes des tensions présentes qui traversent le droit de la concurrence et celui de la propriété intellectuelle.

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